AIDEZ-NOUS À VOIR


Layadi Nacer-Eddine

 Dans son ouvrage ” Les fils des jours”, l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano  raconte qu’un de ses amis lui avouait, un jour, qu’il avait vu la mer seulement  à l’âge de sept ans, alors qu’il était en compagnie de son père. Il  fut tellement étonné  de la couleur de la mer, de sa beauté, de son immensité et du bruit des vagues, qu’il se mit à crier : « Père ! Aidez-moi à voir ». Certains s’étonneront, à juste titre, de la demande de cet enfant. Elle  paraît, à première vue, incongrue: comment aider un non-aveugle à voir les choses placées en face de ses yeux?  Galeano, lui-même, a essayé d’y répondre en se référant à la propre expérience de l’écrivain américain James Baldwin. Ce dernier était en 1944 en compagnie de son ami, un artiste- peintre, arpentant les rues de New York. Alors qu’ils étaient à l’arrêt à un feu rouge, son ami lui demanda de regarder par terre. Arthur Baldwin obéit mais ne trouva rien, à l’exception d’une petite flaque d’eau stagnante. L’artiste insista, lui demandant de regarder davantage. Et alors, il vit un arc-en-ciel constitué par des gouttes d’huile dégagées par les voitures, et qui brillait de toutes les couleurs. Mais en plus, devant l’insistance de l’artiste,  il arriva  finalement à voir, en cette flaque d’eau, le reflet d’une partie de la rue : grattes- ciel,  gens de tout âge vacant à leurs occupations… C’était magnifique, « une véritable toile de peinture »  dira-t-il. Cette histoire lui  servit de leçon dans la vie, dans la mesure où elle lui avait appris comment voir  le monde qui nous entoure. Et elle nous enseigne, à nous aussi, que les artistes peuvent aiguiser notre curiosité, nous aider à voir clairement le monde sensible, en attirant  notre attention sur l’ambivalence de nos comportements quotidiens et sur les détails de notre vie sociale  qui constituent l’essence de notre humanisme.

Les journalistes et leurs  médias pourraient s’inspirer de l’œuvre de l’artiste- peintre dans les efforts qu’ils déploient pour nous informer et nous distraire.

Certains d’entre-eux  affirment qu’ils sont à l’œuvre pour nous éclairer sur l’actualité du jour et nous aider à surmonter les difficultés de notre vie quotidienne.  Ce n’est pas  l’avis de tout le monde.

 Les critiques des médias sont montés au créneau pour dénoncer ses dérives qui poussent de plus en plus vers l’émoussement de notre curiosité. Ils démontrent, preuve à l’appui, que désormais le choix de l’actualité à diffuser s’opère en fonction de l’intérêt qu’elle procure aux médias eux-mêmes  plus  qu’à ce qu’elle représente pour le public. Ignacio Ramonet , l’ex- directeur du « Monde diplomatique », par exemple, attire l’attention sur le fait que même la véracité d’un événement ne se réfère plus à des critères objectifs, rigoureux et vérifiés à la source, mais tout simplement parce que d’autres médias le répètent et le propagent.

L’un des plus fervents critiques des médias,  Pierre Bourdieu en l’occurrence,  assimilait le travail des médias au tour de passe- passe d’un magicien!  Il disait qu’ils attirent l’attention du public vers une chose pour en occulter, avec finesse, une autre. Les exemples sont édifiants à ce titre. Les médias ont braqué, en 2011, leurs projecteurs sur la mésaventure amoureuse de l’ex- directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn, afin d’occulter les retombées de la crise économique mondiale et passer sous silence le début de la protestation populaire contre la politique dudit Fonds.

La mise en scène, le 9 avril 2003, du démantèlement de la statue de Saddam Hussein, immortalisée par les caméras du monde entier, n’avait pas pour seul objectif de nous informer d’une manière théâtrale de la fin du règne du dictateur de l’Irak, mais de passer sous silence  la destruction de la ville de Bagdad et surtout le pillage des richesses économiques et culturelles de ce pays, dont les musées.

Les médias, disait Pierre Nora, n’agissent pas seulement comme des moyens pour lesquels les événements seraient relativement indépendants, mais comme la condition même de leur existence. Ils en soustraient la dimension historique, la remplaçant par des news spectaculaires et fugaces dénudés de tout enjeu. Ils traitent, disait-il, les événements avec la logique du film qui éblouit par son décor pour camoufler la médiocrité du scénario.

Certes on peut essayer de justifier toutes les pratiques des médias, même le fait de persister dans leurs errements, par manque de moyens, face à la concurrence déloyale et l’insuffisance de la formation de leurs journalistes… Mais arriver à dire qu’on a les médias qu’on mérite, c’est prendre la défense de ceux, dont  John Milton disait : « Ils ont crevé les yeux du peuple et lui reprochent d’être aveugle. »

نُشر بواسطة د. نصرالدين

- د. نصر الدين لعياضي، كلية علوم الإعلام والاتصال، جامعة الجزائر - 11الجمهورية الجزائرية شارع مختار دود بن عكنون الجزائر العاصمة العنوان الإلكتروني: alayadi2014@outlook.com

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