Les remords d’Al-Jawzi


Layadi Nacer eddine

Comme dans un rêve, j’ai vu Abu Al-Faradj ibn al-Jawzi, l’éminent savant musulman des XIIe et XIIe siècles, se mordre les doigts d’avoir écrit :” Akhbar Al Homka wa al moughafaline” , ( Nouvelles des sots et des imbéciles). Il s’est rendu compte qu’il s’est trompé et nous a induit en erreur en écrivant  entre autres: ” Si l’imbécile est privé de plusieurs facultés humaines, il ne pourra  pas être dépourvu de l’aptitude  de la réponse hâtive, de tourner son regard  au- delà de son interlocuteur  et de propager des potins et raconter des médisances”. Comment ne regretterait-t-il pas d’avoir écrit sur les potins et autres imbécillités qu’il  considérait comme des idioties alors qu’elles sont, aujourd’hui, monnaie courante et font  le bonheur de la presse à sensation ? Quant au fait de ne pas fixer du regard les gens à qui on  adresse la parole, c’est même  devenu un signe de sagacité

Il est clair que les enfants du web 2.0 ne peuvent pas nous parler sans quitter des yeux l’écran de leur téléphone portable ou tablette occupés à lire des SMS, à envoyer des tweets ou encore à suivre un match à la télévision, etc., C’est la “Multitask generation”, l’expression si chère aux anglophones laquelle signifie ” génération qui fait plusieurs choses à la fois”. Par contre ceux de l’ancienne génération, celle de l’ère analogique, se contentaient souvent de ne faire une seule chose. Et lorsque l’un d’eux s’efforçait de faire deux ou trois choses à la fois,  il échouait lamentablement, probablement  en raison du manque de concentration

Répondre hâtivement et vite est devenu une exigence de nos jours et qui fait oublier que la réponse pesée et réfléchie signifiait autrefois  sagesse de l’esprit et  sobriété de la pensée. A l’inverse,  toute lenteur est considérée aujourd’hui comme un manque de vivacité et de perspicacité

Dans son œuvre : “l’accélération. Une critique sociale du temps”, le philosophe allemand Hartmut Rosa note que nous assistons à une accélération inédite du rythme de la vie au point que nous sommes devenus les victimes d’une nouvelle forme d’aliénation liée au fait qu’à aucun niveau nous n’avons de prise sur cette accélération dans tous les domaine

Submergés par cette accélération, nous nous  plaignons souvent du manque de temps alors que, paradoxalement notre temps libre est en nette progression! Nous avons  cru que la technologie nous ferait gagner beaucoup de temps, mais on s’est aperçu rapidement (sic ) qu’on devrait lui consacrer plus du temps pour en profiter. Ce qui réfute la thèse  selon laquelle  dépenser le temps constitue le grand défi que l’humanité devra affronter à l’avenir.

Certes beaucoup de gens ne savent pas quoi faire de leur temps. Et supportent mal de trop en voir, chose qu’ils l’assimilent à l’ennui. Ne dit-on pas en Algérie qu’on va” tuer” le temps? Une façon de dire qu’on lutte contre l’oisiveté. Cette expression corrobore l’idée selon laquelle la richesse des nations évolue d’une manière disproportionnée avec l’abondance  du  temps dont elles disposent

  À lire l’œuvre d’Al-Jawzi à l’aune de notre quotidien, on peut tout lui pardonner . Il nous a invité au moins à nous poser la  question suivante : Les idiots et autres sots sont-ils devenus des gens normaux ou bien les gens normaux sont  les sots?
Peut-être il sera t il heureux pour ses ” sots et imbéciles “qui ne devront pas subir l’angoisse du “vivre ensemble séparément!” C’est l’expression inventée par des sociologues pour résumer la crainte de voir la vie familiale perdre son caractère de convivialité et d’échange face au déclin des loisirs et autres distractions collectives.

Suspicion de la littérature, tricherie de la presse


Layadi Nacer Eddine

Dans son œuvre Suspicion et littérature , l’universitaire marocain Abdelfattah Kilito, expose les différentes formes de suspicion que les écrivains  exprimaient dans les textes de la littérature arabe classique. Il cite, à titre d’exemple, Schéhérazade, l’illustre narratrice des Mille et Une Nuits. Celle- ci insinuait  que son rôle se limitait à raconter les contes d’un auteur  anonyme. Cela pouvait se vérifier par la phrase qu’elle ne cessait de répéter chaque nuit:  «  il est porté à ma connaissance, mon roi bienheureux

Ce principe est bien respecté aussi par les  célèbres auteurs des  Maqâmât – récits courts et indépendants en prose rimée – nous dit-il. Ils les ont attribués  à des personnages fictifs. L’un de  ces célèbres écrivains, en l’occurrence “Badî’ al-Zamân al-Hamadhânî ” , précisait que ses contes lui ont été racontés par Issa Ibnou Hicham. Tandis que ceux dAl-Ḥarîrî  sont contés par Abou-Zei͏̈de al Saroudji .

  Abdelfattah Kilito  dit que ces auteurs ont bien compris qu’il fallait être  suspicieux,   ne pas dire les choses ouvertement, afin de  n’encourir aucun risque. Et pourtant  les Maqâmât ne sont que des conversations, des allocutions et des subtilités  poétiques démontrant l’éloquence du discours.  Mais l’universitaire  marocain a tenu à préciser que la création  littéraire exige une certaine prudence, vigilance et crainte afin d’éviter tout harcèlement ou persécution. L’exemple d’ Abdallah Ibn al-Muqaffa est édifiant, à ce titre. Il était très vigilant dans ses écrits au point qu’il a versé dans la symbolique en utilisant des fables dans lesquelles les animaux donnaient avis et conseil sur le pouvoir, la gouvernance, la justice, l’amitié et l’hostilité. Malheureusement sa vigilance ne lui a pas servi. Ses écrits lui ont couté la vie d’une manière cruelle et tragique.

Certes, la vie a changé et les écrivains et autres créateurs jouissent aujourd’hui beaucoup plus de la liberté  de penser et de s’exprimer que jadis. Mais la littérature ne faisait pas l’objet de suspicion seulement , elle était  également et demeure l’objet de responsabilité. C’est la raison pour laquelle le philosophe et essayiste musulman  Abû Hayyân al-Tawhîdî  a tenu à mentionner, avec force  détails, les sources de ses trente-sept discussions philosophiques et littéraires rassemblées dans son œuvre ” Al-Imtâ’ wa-l-mu’ânasa  (Plaisir et convivialité).

C’est l’esprit de responsabilité qui a incité également le grand écrivain  alJāḥiẓ à faire précéder ses écrits par des phrases succinctes priant Dieu de l’épargner du bavardage et des médisances.

 Si cette pratique était la règle des  anciens hommes de lettres arabes ,est-ce c’est le cas des journalistes aujourd’hui?

Ces derniers nous inondent de nouvelles dont une partie ne se réfère à aucune source même des plus  douteuses. Ils profitent de la méconnaissance par le public des secrets de la production de l’information.

On peut se demander comment un journaliste peut  nous informer des événements dont il n’était ni  acteur ni témoin direct,  sans se fier à une source précise? On sait que l’information n’est  pas le produit de l’inspiration mais au contraire elle est l’aboutissement d’un travail de collecte, de recherche , de recoupement, de comparaison et de vérification. Ceci est connu par tous les journalistes, alors pourquoi certains médias  “omettent”- ils de citer leurs sources et s’attendent, en plus, qu’on leur accorde du crédit ?

Certes, les medias se trouvent, parfois, dans des circonstances les obligeant à camoufler leurs sources en des termes génériques tels que”: de  source bien informée,  autorisées, sûres, concordantes, proches de.. etc…” C’est-à-dire lorsqu’il s’agit de rapporter un événement très sensible ou traiter un sujet délicat qui peut porter préjudice aux personnes par qui l’information à pu parvenir aux journalistes.  Le fait de dissimuler les sources d’information pourrait être dû  aussi à la volonté des journalistes de préserver leurs relations avec certaines personnes détentrices de l’information et de ne pas trahir leur confiance au risque d’être manipulés.

Compte tenu de l’importance des sources d’information pour les médias,  les lois régissant la profession du journalisme dans certains pays démocratiques  accordent aux journalistes  le droit de ne pas divulguer leurs sources d’information. Mais les medias  qui usent et abusent des sources occultes ne perdent pas leur crédibilité par tricherie mais par peur du ridicule. Les exemples suivants en sont les parfaites illustrations:

Une chaine  de télévision algérienne nous a informé le 1er septembre 2014 à 4 heures du matin que l’épicentre du séisme qui venait de frapper Alger se situait à Bainem. Et elle   ajoutait,< selon notre propre source>.On peut –on se demander, alors, qu’elle est cette source qui à refusé de décliner son identité , pour  révéler une information aussi grave?

Un journal algérien de grand tirage à publié sur son site internet la nouvelle suivante : < en rentrant à son domicile après une pénible  journée de travail, il trouva sa femme, au lit, dans les bras de son amant. Alors il les tua et se suicida par la suite sur- le- champ>. La scène se déroula sans témoin!  Il va sans dire que le journaliste ne précisait ni la date ni le lieu exact du crime! La réaction des lecteurs ne s’est pas fait attendre. L’un deux s’est adressé à son rédacteur en ces termes  : « mais où étiez-vous au moment du crime pour que vous puissiez nous raconter cette histoire? »

Àu vu de  telles pratiques , les lecteurs pourraient être compréhensifs  à l’égard du manque de vigilance des journalistes, voire leur irresponsabilité et tromperie. Mais pourront-ils supporter puis pardonner leur manque d’intelligence ?

Le jeu des sept erreurs


À ceux qui, dans les années soixante- dix du siècle dernier n’achetaient les journaux que pour  les  mots croisés et les mots fléchés pour se distraire , je présente un jeu auquel ils étaient également habitués et  qui leur permettra de surmonter leur oisiveté, tout en renforçant leurs capacités d’observation. J’espère pouvoir leur faire revivre un petit moment de nostalgie : il s’agit du jeu des sept erreurs.
Afin de rafraichir leur mémoire , affaiblie  par l’âge, j’en ai  simplifié, a dessein, le principe tout en  modifiant un petit peu  les données.
À défaut de m’adonner à l’art de la caricature que je ne maitrise pas, je me contenterai de présenter un texte juridique, celui portant sur la composition de l’Instance de régulation de l’audiovisuel. Et je sollicite les lecteurs, plutôt les joueurs, d’y détecter les sept erreurs- dans les deux copies – dont ,en plus, les législateurs de deux pays africains revendiquent la paternité.

La première copie stipule que l’Instance de régulation de l’audiovisuel est composée de neuf membres nommés par décret présidentiel pour un mandat de 6 ans non renouvelable. Cinq membres, dont son président, sont désignés par le président de la République,  alors que deux membres non parlementaires, sont proposés par le président du Sénat et deux autres membres non parlementaires, proposés par le président du Parlement.
Quant à la deuxième copie, elle stipule que cette instance comprend également neuf membres nommés par le président de la République dont son président , un membre issu des mouvements des associations féminines, un autre issu du milieu des professionnels de la communication audiovisuelle , une personnalité qualifiée du milieu des arts  , une autre qualifiée du milieu des lettres , un membre issu de la communauté universitaire , trois autres membres  du mouvement des droits de l’homme, du Conseil national de la Jeunesse et des associations de personnes du troisième âge.

Pour participer à ce jeu, chaque joueur est appelé à découvrir les sept erreurs dans cet article et de préciser quelle est la copie de chaque pays. L’heureux gagnant aura dix exemplaires de la loi sur l’audiovisuel des deux pays! Et afin d’aider les concurrents et de leur épargner  tout recours à notre cher ” Google” ,on les orientera vers le texte original que les législateurs des deux pays africains ont “copié” sinon plagié. S’agit-il de plagiat ou d’intertextualité  ce que les critiques littéraires et autres écrivains utilisent à tort et à travers? Jugeons en :
l’original de l’article stipule que la loi sur l’indépendance de l’audiovisuel public fait progressivement passer les membres de cette instance de 9 à 7 membres dont trois sont désignés par le Parlement et les autres par le président du Sénat. Quant à son président ,il est désigné par le président de la République.
Il ne reste plus à ceux qui n’ont pas le sens de l’observation bien développé ,qu’a se contenter de revoir le sens du verbe copier une loi . Cela veut dire tout simplement reprendre certaines de ses lettres et la délester de son esprit ,au nom d’une certaine spécificité politique et culturelle